Je suis à nu avec vous. Vous connaissez mes défauts. Je ne me sens, par conséquent, plus vraiment obligé de me justifier par rapport à mon retard dans ma chronique du dimanche. Puis vous savez à quel point j’affectionne la contradiction. Je ne suis même pas conséquent par rapport à cette affection. Je ne pense rien, et tout (et ça gosse tellement Vanessa). Mais peu importe, j’ai décidé que dorénavant, la chronique du dimanche allait être n’importe quand (pour aujourd’hui, c’est maintenant), mais qu’elle allait continuer de s’appeler la chronique du dimanche.
Hermétisme II
J’ai eu une discussion avec un flûtiste à la bibliothèque, l’autre jour. Il disait que la musique contemporaine, au début, c’était difficile à comprendre. Je n’aime pas le mot comprendre, et je rejetais complètement la notion de compréhension (au sens intellectuel) de la musique jusqu’à cette discussion.
Selon moi, aimer la musique contemporaine, c’est comme aimer le scotch. Ce n’est pas intellectuel, mais sensoriel, et l’appréciation de cette musique se fait par l’aiguisement d’une sensibilité, et non d’une étude.
Pour aimer le scotch, on peut connaître la théorie… le fût de chêne, le malt, l’Écosse… mais ça ne nous permettra pas d’aimer le scotch.
Aimer le scotch, c’est le « comprendre ». Pour «apprendre» à aimer le scotch, il faut tout simplement en boire, histoire de raffiner son expérience.
Quand on boit du scotch, c’est l’intégrale de notre expérience gustative qui passe sur notre langue. «Des mûres, des clous de girofle, un peu de boisé, un soupçon de vanille…» Et plus on apprécie de mets culinaires, plus on aime le scotch.
Et plus on aime le scotch, plus on aime tout, et qu’on aime goûter à tout, et qu’on crée des liens entre tout et tout : on devient ami avec notre langue.
Dans les quatuors à cordes de Lachenmann, on peut y entendre des flûtes, des clarinettes, la mer, une radio qui griche… s’en dégage une sorte d’émotion indescriptible propre à l’art profond.
Néanmoins, il existe certaines musiques qui demandent plus de connaissances théoriques pour les apprécier. Le flûtiste m’aura convaincu en me parlant d’une fugue de Bach, ou d’un solo de jazz. Réflexion à poursuivre…
Claude Gingras
J’ai une ex qui, comme Claude Gingras, était constamment déçue de moi car je ne répondais pas à ses attentes (essayez pas, c’était pas sur le plan sexuel – ah que vous avez l’esprit mal tourné!). Je n’étais pas ci, je n’étais pas ça, et même si j’étais quelque chose de pas si pire, je n’étais pas ce qu’elle s’était imaginé de moi : j’étais donc un enfoiré.
Claude Gingras a détesté le dernier concert d’Halloween de la SMCQ parce qu’il n’avait «rien à voir avec l’halloween.» Oui, et alors? C’était autre chose que des citrouilles, des sorcières et des zombies. Et puis? Est-ce que c’était bon ou mauvais?
Ah, les critiques et les femmes!
Mot de la fin
Lachenmann! Il gagne le prestigissime « prix » de mon compositeur préféré de la semaine. Vous le trouvez difficile à cerner? Moins que les critiques et les femmes! (bon ok, ça devient obsédant ma comparaison – une chance que la chronique se termine!)
Tsé. Vous êtes pas obligés de l’écouter au complet pour « comprendre ». Des fois, on finit pas notre assiette pis c’est correct aussi.
La chronique du dimanche d’aujourd’hui (qui n’est pas dimanche) porte 5 sous-titres, soit le nombre de chefs d’accusation auxquels Omar Khadr a plaidé coupable.
Pierre Lapointe
Si j’aurai pris tant de retard à ma célébrissime chronique, c’est, entre autre, parce qu’il fallait que je termine mes arrangements pour Pierre Lapointe et le quatuor Molinari.
J’ai entendu celui de Michel Gonneville (un professeur de composition au conservatoire). Harpe. Septolets, quintolets. Harmonie flyée. Super beau.
« Tu ne penses pas que Pierre va avoir de la difficulté à chanter ça?
– Y’a juste à pratiquer.»
(en fait, sa réponse était beaucoup plus nuancée que ça, mais moins drôle)
Je me suis dis que l’une des concrétisations de la maturité en composition, c’est d’oser.
Jujubes + bière
« Ouche, ça scrap tellement le goût de la bière!
– Mais ça rehausse tellement celui des jujubes! »
Hermétisme
« Est-ce que t’es au moins conscient que c’est un niveau d’hermétisme très élevé, ce genre de musique-là où on crie et qu’on tape sur le violoncelle?
– Non, il ne s’en rend pas compte » , répondit Florence à ma place.
Un cri dans une toune. En quoi c’est hermétique?
C’est le même cri que l’on retrouve dans une pièce de théâtre ou dans un film. Le contexte qui est différent, mais c’est le même cri.
L’hermétisme, c’est quelque chose de difficile à comprendre. Or, un cri est beaucoup moins hermétique qu’un do. De toute façon, la musique, c’est toujours hermétique.
Je songeais à la musique pop en prenant ma douche, il y a quelques jours. La musique pop, c’est une convention. Un accord de do dans une toune des Beatles, c’est le même accord de do que dans une symphonie de Mozart. Mais Mozart ne passe pas à CKOI.
Couplet, refrain, bridge ; sujet de paroles récurrentes ; progression d’accords semblables ; bon beat de drum qui groove. Ça nous permet de mieux appréhender ce chaos dans lequel on palpe le beau, parce qu’on ne se retrouve devant un chaos pas entièrement différent de qu’est-ce qu’on a connu avant.
La musique contemporaine, c’est certain que c’est déroutant, qu’on a très peu de points de repère si on en entend pour la première fois. Mais hermétique, pas toujours.
Guantanamo beach
(mille excuses à Alexis Raynault)
À la recherche du temps perdu
C’est un peu paradoxal qu’un livre qui prend autant de temps à lire s’appelle « à la recherche du temps perdu. » Enfin. Voici un passage qui m’a émouvé :
Mais aucun n’aurait été jusqu’à dire : « C’est un grand écrivain, il a un grand talent. » Ils ne disaient même pas qu’il avait du talent. Ils ne le disaient pas parce qu’ils ne le savaient pas. Nous sommes très longs à reconnaître dans la physionomie particulière d’un nouvel écrivain le modèle qui porte le nom de « grand talent » dans notre musée des idées générales. Justement parce que cette physionomie est nouvelle, nous ne la trouvons pas tout à fait ressemblante à ce que nous appelons talent. Nous disons plutôt originalité, charme, délicatesse, force ; et puis un jour nous nous rendons compte que c’est justement tout cela le talent.
Toute tentative de catégoriser le monde est un échec.
Tous les choix que nous faisons pourraient être arbitraires, ça ne change rien.
La vérité est une illusion éphémère, elle n’existe pas.
Néanmoins, nous percevons le monde à travers notre existence d’humain. Nous vivons la tristesse, la joie, le bien, le mal…
Nous catégorisons les animaux et les plantes en espèces…
Nous faisons des choix en fonction de notre survie, et nous vivons parfois de l’empathie envers d’autres.
Puis nous écrivons des blogs.
Demander aux artistes qu’est-ce qu’on devrait faire comme développement durable culturel pour le 21e siècle. C’est simple. Donnez-nous du fric. Beaucoup de fric. Beaucoup de fric, et carte blanche, aussi.
Le gouvernement ne doit pas imposer une esthétique. Peut-être que certaines personnes abuseront, feront des choses très laides et très connes, mais c’est pas grave. Je demande l’anarchie esthétique, rien de moins, et je veux être payé pour.
Et soyez un peu gambler. Let’s go, on fait un monument fucked up! Donnez un terrain vague et un gros budget à un architecte un peu fou. On manque d’architecture, au Québec. Et on manque de fucked upness. Le stade olympique… il est pas si laid. C’est juste que si on voulait en faire un symbole, c’est raté. Bien trop commun. Des choses communes, il y en a partout sur Terre. Allez. On fait quelque chose de tellement fucked up que les gens de partout sur Terre se déplaceront pour le voir. Une affaire folle.
Tout le monde va dire : «ça va être un désastre, ça va être un désastre!» On va envoyer des emails à Pierre Foglia. Pis on pourra rien faire, parce que le contrat va être signé, et dans la constitution, on aura décrété l’anarchie esthétique. Alors on va regarder le désastre se produire.
Le monument fucked up, le monument fucked up! Des émeutes, pis toute.
Chui tanné que les gens soient indifférents. J’veux qu’ils soient choqués, qu’ils huent, qu’ils fassent des manifestations anti-art-dégénéré. Le gouvernement nous donne tellement pu de fric que ça choque pu.
Pis on s’en crisse, du «durable» dans la culture. La seule chose importante, c’est l’anarchie esthétique, et de ce géant chaos, on palpera parfois le beau.
Le beau, il est toujours là, peu importe le budget. Mais le beau avec du gros budget, c’est le fun. C’est un sophisme esthétique que je sais apprécier.
Faudrait parler un peu plus d’art dans les médias. Autant que le sport. «Tel artiste visuel nous a encore fait le coup d’une toile avec du caca dessus.» Ou une critique sur les seins des concerts de danse contemporaine.
Ah. Pis non, finalement. Le sensationnalisme, c’est un peu trop sophistique pour mon esprit si raffiné. Les totons des danseuses contemporaines, c’est de façon intellectuelle que je me branle dessus.
La durabilité en culture, ça sert peut-être à ce que plus de gens pratiquent la masturbation mentale.
La durabilité, ça ne serait pas aussi un sophisme?
Faudrait définir «durable». Et «beau». Et «art». Et plein d’autres affaires de fonctionnaires.
Mais à la place on devrait faire un gros monument fucked up.
Notre ami Gaube soutient, avec l’appui pour le moins méprisant de notre pauvre Charlot-Bobo*, que l’art est la seule chose qui l’intéresse dans le fait de faire de l’art.
J’ai envie de prendre un seul exemple pour répondre: le cinéma. Francesco Rosi. Salvatore Giuliano. L’histoire d’un bandit mythique italien (ou devrais-je plutôt dire sicilien) qui a fait les nouvelles nationales à l’époque (années 1950). Personnellement, j’aime Rosi parce qu’il fait du néo-réalisme un tremplin à son propos. En fait, son cinéma est inspiré du néo-réalisme, sans plonger dans les grands mélodrames à la Werther et autres dangers histrioniques. Finalement, ce n’est pas simplement un cinéma politique — attention, ici je vais ouvrir une parenthèse — (il traite de sujets politiques sans faire de propagande, ou devenir moralisateur, ou accusateur; c’est un observateur, mais d’un propos qu’il prend en charge, auquel il donne sa propre esthétique). En somme, Rosi réussit à traiter d’un sujet social profondément ancré dans les préoccupations italiennes de l’heure, avec un regard critique, mais pas partisan, en traitant son auditeur comme un public actif, qui a tout à gagner du visionnement de son film, comme aurait dit Rainer Werner Fassbinder, «Je ne veux pas que mes auditeurs sortent de salle plus idiots que lorsqu’ils y sont entrés».
Là où Rosi devient encore plus intéressant, c’est que pour traiter du cas bien réel de Salvatore Giuliano, il avait dans l’idée esthétique de mettre en scène l’ardeur du soleil sicilien et c’est pourquoi il est allé en Sicile, sur les vrais lieux, prenant contact avec les personnes directement concernées par la source du propos qu’il voulait traiter. En outre, la quasi-totalité des acteurs que l’on voit dans son film Salvatore Giuliano est formée de paysans de La Porta della Ginestra et de Palerme. Et le jeu est tout à fait convaicant, et sans nul doute encore plus qu’il l’aurait été avec des acteurs napolitains (ville d’où provient Rosi), par exemple, qui n’auraient pas eux-mêmes vécu ce qui y était exprimé.
De fait, cette œuvre est un geste social majeur parce qu’il implique artistes et paysans au sein d’une seule et même voix, les faisant tous artisans d’un exposé esthétique d’événements puissants, profondément ancrés dans la culture italienne. La dramaturgie, même si présentée à la manière du documentaire, se rapproche d’une quelconque catharsis grecque, où les drames sont exposés et où même la paysanne la plus pauvre exprime des lamentations d’une noblesse au point où elle devient un passage inoubliable et incontournable du film, tout en gardant une profonde sensibilité humaine. Pourtant, nous ne suivons pas, comme dans un film typique à la De Sica, l’histoire d’un seul personnage, duquel découlent des événements de plus en plus dramatiques et lourds et sur lequel toute la psychologie se forme. La caméra est vraiment une abstraction — c’est un média, un exposé, une fenêtre pour quiconque tente de reconstituer les faits et ne suggère pour logique que celle que le spectateur choisira pour lui-même. Sans compter qu’à l’intérieur de ce film, nous pouvons reconstituer diverses techniques cinématographiques, dont celles de la composition de l’image du très poétique et lyrique Visconti, des propos réels et troublants dignes de Rossellini et une ferveur italienne de masse que l’on peut même retrouver dans de nombreux films de Fellini.
L’art de Francesco Rosi n’en est donc pas moins important, et, au contraire, il s’en retrouve renforcé par tous ces ancrages sociaux, esthétiques et stimulateurs. J’affirme donc, avec sincère assurance, une fois de plus, que l’art a inexorablement une dimension sociale, puisqu’issu d’un créateur humain, d’un fabulateur profondément homme et — surtout — inévitablement aussi adressé en retour à l’Homme, et qu’il ne peut pas s’en détacher.
* Le Spleen de Paris
Donc, l’idéalisme pragmatique est celui-ci: penser tout faire rentrer dans un moule idéal selon lequel tout serait quantifiable; nos besoins, désirs, connaissances, regards esthétiques compris. Selon moi, c’est vraiment se limiter que de supposer à un système universel (ah cher Kant) qui règlerait tout. En fait, c’est aussi plutôt absurde de penser que l’argent sert vraiment à quelque chose. Je vais expliquer brièvement mon point de vue par un petit schéma symbolique.
Est-ce qu’un danseur peut se considérer utile? Est-ce qu’un acteur qui a son étoile à LA est vraiment plus utile qu’un acteur serbo-croate en début de carrière?
Il y a une nette différence entre l’art et le design. Le design, bien qu’esthétique, est fait dans le but de répondre à un besoin pratique: le design architectural DOIT s’assurer qu’un édifice soit à l’épreuve de la gravité, par exemple. L’art n’a pas cette exigence. Tout aussi esthétique, il n’est qu’esthétique et peut s’appliquer à tout. Il peut s’appliquer à l’architecture et au design graphique. Mais il n’y est pas limité.
Quelle proportion d’utilité peut-on déduire d’immeubles lorsque leur architecture est considérée «artistiquement estimée»? Doivent-ils coûter plus ou moins cher, en fonction de leur utilité? (M. Gingras pourrait peut-être répondre!)
Tellement d’objectifs sont détournés, voire ignorés à cause de l’argent. La vie est elle-même ignorée à cause de ce système. C’est quoi le rapport? Le système, à la base, devait servir la vie.